HERNANDO CALVO OSPINA
Accueil du site > FRANçAIS > ARTICLES > Le jour où les Etats-Unis m’ont interdit de survoler leur territoire

Pour des raisons de "sécurité nationale"

Le jour où les Etats-Unis m’ont interdit de survoler leur territoire

lundi 20 avril 2009, par Hernando Calvo Ospina

Toutes les versions de cet article : [English] [Español] [Español] [français] [italiano] [slovenčina] [Türkçe]

Par Hernando Calvo Ospina

Le vol d’Air France, numéro 438, en provenance de Paris, devait atterrir à Mexico vers 18 heures ce samedi 18 avril. Il ne restait presque plus que 5 heures de vol avant d’arriver à destination, lorsque la voix du commandant annonça que les autorités étasuniennes n’autorisaient pas l’avion à survoler leur pays. Le motif en était que, parmi les passagers qui voyageaient dans l’avion, se trouvait une personne indésirable, pour des raisons de sécurité nationale.

Quelques minutes plus tard, la même voix déclarait aux passagers surpris que nous devions nous diriger sur Fort de France, Martinique, car le détour que l’avion était obligé de faire pour arriver à destination était très long et le carburant viendrait à manquer. L’objet de cette escale sur la partie caribéenne du territoire français était seulement de faire le plein.

Dans l’avion, l’un des sujets de conversation concernait la fatigue, mais le sujet principal des discussions à voix basse, c’était qui pouvait bien être le passager « terroriste », car si les « gringos » le disaient « c’est bien parce que ça doit être un terroriste ».

Après nous être examinés respectivement, nous qui étions assis à l’arrière de l’avion, deux d’entre nous confirmèrent qu’il ne pouvait y avoir de terroriste ici car « personne n’a une tête de musulman ».

A nouveau en vol, nous préparant pour quatre autres heures de voyage, une personne qui se présenta comme étant le co-pilote vint vers moi. En essayant d’être discret, il me demanda si j’étais bien « Monsieur Calvo Ospina ».

J’acquiesçai.

« Le commandant veut dormir, voilà pourquoi c’est moi qui suis venu ».

Et il m’invita à l’accompagner au fond de l’avion.

C’est là qu’il me dit que j’étais le « responsable » du déroutement de l’avion. Je fus abasourdi.

Ma première réaction fut de lui demander : « Pensez-vous que je sois un terroriste ? » Il me dit que non, que c’était pour cela qu’il m’avertissait. Et le plus étonnant, m’assura t-il, c’est que c’était la première fois que cela arrivait à un avion d’Air France.

Un peu avant d’arriver en Martinique, déjà, l’une des hôtesses m’avait affirmé qu’en onze ans de travail, il ne lui était jamais rien arrivé de pareil.

Le co-pilote, enfin, lors de cette brève conversation, me demanda de ne rien dire à personne, ni même au reste de l’équipage. Je lui assurai que je n’avais pas la moindre intention de le faire.

Je regagnai mon fauteuil. Peut-être à cause de ma nervosité - ou bien était-ce vraiment le cas - je commençais à remarquer que l’équipage passait plus souvent devant moi en m’observant comme une bête curieuse.

A l’atterrissage, avant même d’arriver au bâtiment de l’aéroport, une voix féminine demanda que « Monsieur Calvo Ospina » se présente à un membre de l’équipage dès que l’avion s’arrêterait.

C’est ce que je fis. Le jeune homme prit le téléphone interne et appela quelqu’un. En raccrochant, il me dit que non, qu’ils n’avaient plus besoin de moi et que je pouvais descendre. Il me déclara qu’il était au courant de mon problème en me souhaitant bonne chance.

En un instant, j’inscrivis le numéro de téléphone de mon domicile sur deux bouts de papier que j’arrachai à un magazine et les remis à deux personnes avec lesquelles j’avais bavardé dans l’avion, en leur disant que c’était moi le « problème ». Ils m’assurèrent qu’ils appelleraient (ils ne l’ont pas fait, ou bien ils n’ont pas pu bien déchiffrer les numéros que j’avais inscrits).

Quelques mètres après être sorti de l’avion, juste à l’entrée du bâtiment, plusieurs agents en civil nous attendaient et nous demandèrent nos papiers. Je commençais à me sentir la gorge sèche, à cause du stress. Je présentai mon passeport, ils me laissèrent passer.

Tandis que je faisais la queue pour passer devant la police des frontières, je me rendis compte que plusieurs hommes cherchaient quelqu’un. Ils se tenaient derrière une grande baie vitrée transparente, située à peu de distance des agents de l’immigration, à une certaine hauteur leur permettant d’observer.

La file était très lente. J’avançais, sans avoir d’autre choix, vers l’endroit où je pressentais que le pire pouvait m’arriver. Mais que pouvais-je faire face à cela ? Il est probable que la situation scandaleuse d’’un homme désigné comme « terroriste » présumé par les Etats-Unis n’allait pas susciter la moindre solidarité.

Je devais continuer : je ne devais rien, et je continue à ne rien devoir devant ma conscience. Je remarquai alors que les trois ou quatre hommes derrière cette baie m’ avaient repéré. Ils observaient l’écran d’un ordinateur et me regardaient. Je faisais comme si de rien n’était.

Celui qui me semblait être le chef (ce qu’il était), descendit pour dire quelque chose à mon sujet aux agents de l’immigration. Il avait beau dissimuler, il était impossible que je ne m’en rende pas compte, d’autant plus que je savais que c’était moi le « coupable ». Les gens de l’immigration, l’un après l’autre, levèrent les yeux et rencontrèrent les miens, car je ne désirais pas cacher que je savais que c’était moi qu’ils attendaient.

Mon tour arriva. Je saluai l’homme aimablement. Il me répondit de la même manière. Il regarda l’ordinateur, écrivit quelque chose et me demanda d’attendre un instant car il avait besoin d’une « précision » à propos de mon passeport. Il me demanda de le suivre, ce que je fis. Il me fit entrer dans une salle située à côté de celle de la fameuse vitre. Un agent en uniforme était assis à l’entrée et il écrivait quelque chose. Après avoir déposé mes deux bagages à main, je lui dis que je voulais aller aux toilettes. Il m’indiqua où elles se trouvaient. Je traversai deux grandes pièces qui étaient dans une semi- obscurité, et remarquai que deux personnes dormaient à même le sol sur des matelas. Les toilettes n’étaient pas éclairées. Je me soulageai sans savoir si je faisais exactement là où il fallait : je n’y voyais rien.

Je revins et m’assis sur une des chaises. Je pris un livre, avec une apparente tranquillité mais j’avais toujours la gorge sèche. Quelques minutes après, le même homme que j’avais vu me rechercher derrière la baie, revint. Très aimablement, il me demanda de le suivre. Nous entrâmes dans la salle de la baie vitrée.

Il se plaça derrière le bureau et me demanda de m’asseoir sur une des chaises. Je m’assis et me rendis compte qu’un autre homme se tenait debout derrière moi, sur ma gauche. Une jeune femme contrôlait un ordinateur et des papiers, un peu plus loin. L’homme me dit d’abord de ne pas m’inquiéter, qu’ils voulaient seulement avoir quelques précisions, car « cinq systèmes informatiques de renseignements, », des banques de données, avaient lancé des informations sur moi. Il me les montra. Ils avaient « simplement » besoin de faire un « résumé ». Il y avait environ deux cents pages dans le paquet qu’il me montra, rassemblées en cinq liasses.

Je me calmai. Oubliant ma gorge sèche, je leur dis : « Demandez-moi ce que vous voulez, je n’ai rien à cacher ».

Ils me répétèrent que c’étaient des choses simples, rapides et qu’ensuite, je pourrais m’en aller . Connaissant la police, j’avais des doutes.

Je lui demandai si dans cette masse de feuilles on disait que j’étais coupable de quelque chose. L’homme debout parla et répondit qu’en vérité, j’étais là à la demande des autorités étasuniennes, que je devais savoir que depuis le 11 septembre (2001), les étasuniens leur demandaient un surcroît de travail de« collaboration ». A ce moment, je leur demandai : « C’est donc moi le coupable du déroutement de l’avion ? ».

Il me répondirent que non, qu’ils avaient compris que ce déroutement n’avait été qu’une simple escale technique.

Je leur répondis qu’ils savaient bien que ce n’était pas vrai. Le capitaine de l’avion avait déclaré à tous les passagers que c’était à cause d’un passager.

Ils sourirent, se regardèrent et revinrent aux questions.

Ils me demandèrent mon nom, ma date de naissance, mon lieu de résidence, etc. Rien d’extraordinaire ou qui ne figure déjà dans mes papiers.

L’officier qui était assis me répétait que je pourrais m’en aller sans problème d’ici quelques minutes.

Les questions les plus « remarquables » furent celles de l’homme qui était debout.

- « Etes-vous catholique ? » Je lui répondis que non, mais que je n’étais pas musulman non plus car je savais le « danger déterminant » que représentait désormais cette croyance, pour certaines polices.

- « Savez-vous utiliser des armes ? » Je lui répondis que la seule fois que j’en avais eu une entre les mains, j’étais très jeune, que c’était un fusil de chasse qui me fit tomber par terre au moment où le coup partit. Je n’avais même pas fait de service militaire. Je leur précisai que ma « seule arme est l’écriture, en particulier pour dénoncer le gouvernement étasunien que je considère comme terroriste ».

Ils se regardèrent, et l’homme assis me dit ce que je savais déjà : « Parfois, cette arme est pire que les fusils et les bombes ».

Ils me demandèrent pourquoi j’allais au Nicaragua (le lendemain). Je leur expliquai que je devais réaliser un reportage pour le Monde Diplomatique.

Il me demandèrent mon adresse personnelle, ainsi que les numéros de téléphone de mon domicile et de mon portable, ce que je leur donnai sans la moindre hésitation.

Ils me demandèrent si j’avais des enfants. Je leur répondis que j’avais une fille et un petit garçon. Alors l’homme debout, qui s’était assis à côté de moi, me dit en parlant très calmement, comme à chaque fois qu’il s’exprimait : « C’est bien que vous ayez réussi votre couple. C’est très beau ». Il me paraissait honnête.

Ce fut l’essentiel de l’interrogatoire, presque une conversation. Les notes que prit l’homme assis ne remplissaient même pas une page. Celles de l’autre officier ne remplissaient pas non plus une page de son carnet. Il me semblait que ce dernier travaillait pour une section de renseignement plus spécialisée. A aucun moment il n’y eut, de la part de ces deux officiers, la moindre parole agressive ou menaçante. Ils furent très aimables et corrects. Enfin, ils me rendirent mes papiers d’identité qu’ils avaient photocopiés. Et nous nous dîmes au revoir en nous serrant la main.

Il était presque deux heures du matin, ce dimanche 19 avril 2009.

A 10h30, je n’eus pas de problème pour monter dans l’avion de Managua.

Mais aujourd’hui, je continue à penser que tout ceci fut un rêve qui tenait un peu du cauchemar.

Je n’arrive toujours pas à croire que j’ai été « coupable » du déroutement d’un 747 d’Air France, à cause de la « peur » des autorités étasuniennes.

Combien cela a-t-il coûté ? Seul Air France peut le savoir, car la Compagnie a dû payer en plus, l’hôtel et le repas de la moitié au moins des passagers qui avaient des correspondances.

J’ai été témoin de la fatigue des passagers, de celle des enfants en particulier, quelques-uns d’entre eux se mirent même à vomir. Avec en prime, la peur des adultes, de savoir qu’il y avait un « terroriste » parmi eux.

Je fus aussi le témoin du calme du personnel de cabine vis-à-vis de moi (j’ai su par la suite que tous étaient au courant). Il ne me sembla pas qu’ils me tenaient pour coupable d’un délit.

Jusqu’où ira la paranoïa des autorités étasuniennes ? Et pourquoi Air France et les autorités françaises continuent de garder le silence jusqu’à aujourd’hui ?

Hernando Calvo Ospina

(Traduction Hélène Anger)

Entrevista a Hernando Calvo Ospina, en castellano, realizada por Telesur, el 20 de abril 2009 en Managua, Nicaragua :

Flash Video - 1.7 Mo

Répondre à cet article

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0